Récit de Monsieur André Beaufays, survivant du Lancastria

 

Agé de 14 ans je me trouvais avec mon père et ma mère à bord du paquebot Lancastria le 17 juin 1940 lorsqu’à 16 heures il fut bombardé et coulé par l’aviation allemande

 Mon père était technicien spécialiste des avions Huricane au service de Fairy Aviation, société anglaise qui avait une usine en Belgique, en bordure de l’aérodrome de Gosselies

Le 10 mai 1940, lors de l’invasion de la Belgique par l’Allemagne, l’usine a été bombardée très tôt le matin. Après contact avec l’entreprise principale à Hayes la décision était prise de sauver le matériel non endommagé et de rejoindre l’Angleterre. Un train entier fut chargé par des volontaires et parvint in tact en Angleterre via le port français de Nantes.

 

La famille du directeur et les techniciens spécialisés, qui pouvaient emmener leurs femmes et enfants ,partirent par la route avec les véhicules roulants de la société.

Ils étaient une vingtaine lorsque après plusieurs périples assez mouvementés, ils atteignirent le port français de Saint-Nazaire le 16 juin au soir .Ils patientèrent la nuit du 16 au 17 juin, attendant de pouvoir embarquer. C’est ainsi que le 17 juin au matin nous priment place mes parents et moi dans un petit bateau qui nous mena jusqu’au Lancastria qui était ancré au large du port.

 

C’était un très beau et très grand paquebot de croisière qui avait été réquisitionné par l’armée pour récupérer et ramener en Angleterre (à Plymouth) un maximum de soldats du corps expéditionnaire DE Grande Bretagne qui s’était regroupés à Saint-Nazaire après la prise de Dunkerque et l’effondrement du front de l’Ouest, la France ayant en outre manifesté son intention de capituler.

 Nous montèrent à bord du Lancastria en fin de matinée, aidés par l’équipage et les soldats déjà à bord qui ont fait preuve à notre égard de beaucoup de soutien, d’amabilité, de calme et de dévouement. Nous leur en sommes vraiment très reconnaissant. On nous mena avec nos bagages à une cabine qui nous avait été réservée, peu après on vint nous inviter à prendre un repas et on nous conduisit à la luxueuse salle à manger.

 Au début du repas il y eut une alerte et on entendit le canon du destroyer qui nous accompagnait. Nous devions naviguer vers l’Angleterre, on nous invita à placer des ceintures de sauvetage et le repas se poursuivit. Mais peu après une seconde alerte, une bombe traversa le plafond et le plancher et de très fortes explosions firent trembler tout le navire, les lustres en cristal, les verres et la vaisselle se brisèrent projetant partout des éclats. Immédiatement un militaire nous invita à le suivre pour remonter sur le pont, 2 étages plus haut, sans pouvoir avoir accès à notre cabine ni à nos biens car le bateau s’inclinait de plus en plus sur la droite et s’enfonçait rapidement

 J’ai appris plus tard qu’il avait été touché par 4 bombes. Tout se fit dans le plus grand calme. Les soldats se tenaient sur place immobile et facilitaient notre passage, grand merci aussi à tous. On nous mena vers une chaloupe et on nous aida à prendre place, mais l’inclinaison vers la droite et vers l’avant était telle qu’on ne peut la détacher. Elle bascula nous précipitant dans la mer.

 Parvenu à la surface, je cherchais mes parents parmi toutes les têtes qui émergeaient, mais je ne pus les trouver. Il y avait des centaines de personnes dans la mer, d’autres qui tombaient du bateau ou qui se jetaient à l’eau avec des débris pour pouvoir s’accrocher. Réalisant que j’allais être entraîné par le bateau qui était sur le point d’être complètement englouti je me mis à nager le plus vite possible pur m’écarter.

 Après quelques brasses je suis entré dans une masse visqueuse d’environ 60 cm d’épaisseur, c’était du mazout provenant du bateau. J’ai essayé de me maintenir et de nager le plus loin possible, j’ai perdu plusieurs fois courage mais le désir de survivre l’emportait. Après une longue période environ deux heures, j’aperçus une fumée au loin, j’ai alors repris espoir, un bateau venait dans ma direction, mais l’attente fut longue. Il semblait approcher tellement lentement. Puis il resta sur place et 2 barques s’avancèrent parmi la foule des personnes à la mer, vivantes ou mortes.

De toutes mes forces j’ai nagé vers un bateau et m’y suis enfin agrippé. Un bras m’a saisi mais n’a pu me retenir car le mazout dont j’étais imprégné me rendait trop glissant. Repris une deuxième fois, je suis tombé dans la barque en poussant un cri de douleur, qui attira l’attention du marin qui m’avait sauvé. Il remarqua alors étonnement que je n’étais qu’un petit garçon. Il me demanda si j’étais anglais et comment je me trouvais là.

 Je lui répondis que j’étais belge et que tombé à l’eau, j’avais perdu mes parents. Comme je grelottais il me ramena vers le bateau, c’était le remorqueur ‘URSUS’ et me descendit auprès des chaudières, puis il m’apporta plusieurs bouteilles de lait et me fit boire pour me laver l’estomac et évacuer le mazout que j’avais avalé. Il me laissa alors pour poursuivre la récupération d’autres survivants. Tout à fait comble, l’URSUS repartit vers le port, s’arrêtant en chemin près d’un navire qui recueillit un grand nombre de soldats capable de se déplacer. Il faisait nuit lorsque le marin vint me chercher pour me dire que nous étions rentrés au port.Je ne me souviens plus bien de la suite.

 J’ai un moment pensé que j’étais dans un véhicule roulant dans des rues. Puis je vois une porte qui s’ouvre sur une grande salle avec de nombreux lits contre les murs et au centre beaucoup de paillasses. Je me suis laissé tomber sur l’une d’elles et m’endormis immédiatement.

 Le lendemain matin à mon réveil, j’étais entouré de nombreux soldats couchés eux aussi et 2 militaires qui tenaient 2 grands plats me demandaient si je désirais ‘meat or eggs’ (viande ou œufs) ? Je ne sais pas ce que j’ai répondu,mais je n’ai pas eu ce à quoi j’avais pensé.

Fin de matinée une infirmière anglaise et plusieurs militaires sont venus rechercher les blessés capables d’être transportés par un tout dernier bateau car malgré la capitulation de la France, les anglais résistaient toujours dans la ville et le port . Je ne me souviens pas avoir enlevé mes vêtements et avoir revêtu une chemise et un pantalon beaucoup trop grand pour moi. L’après midi j’ai pu disposer d’un lit.

Les allemands continuaient de bombarder et de mitrailler la ville et le port et on amena de nombreux blessés à l’hôpital. Je suis resté une semaine à l’hôpital. Plusieurs soldats sont morts des suites de leurs blessures, de leurs brûlures ou de leur empoisonnement. Une cérémonie funèbre eut lieu à la chapelle de l’hôpital mais, trop malade je n’ai pu y assister. Les allemands installés à Saint-Nazaire ont alors contrôlés les personnes hospitalisées et j’ai dù me rendre avec un infirmier au Consul Belge pour obtenir des papiers d’identité. Après quelques jours de repos à l’hôpital, j’ai ensuite entrepris le voyage de retour à Gosselies.

Ma mère a été recueillie par un bateau anglais revenu de l’Inde et elle  a passée les 5 ans de guerre en Angleterre, à Hayes puis à Londres, elle fit de nombreuses recherches pour savoir si son époux et son fils avaient survécus au naufrage du Lancastria. Elle apprit que son fils était vivant et réussi à prendre contacte avec moi.  Mon père est décédé sans que maman, malgré tous ses efforts, n’obtienne la moindre information.

Un hôpital militaire lui a envoyé la carte d’identité et le porte feuille de papa, accompagnés d’un message naval = Georges Baufays décédé, le secret militaire était de rigueur

Je n’ai revu maman qu’en juin 1945

M André Beaufays

 

Monsieur Baufays père, André Baufays (fils) et Mme Baufays

M Baufays survivant du Lancastria

Message reçu de la Navale annonçant le décès de M Baufays