H. Fuller, capitaine du John Holt.

 

Extrait du journal de bord du John Holt

 Le SS John Holt a ramené 1100 survivants du Lancastria.

 Au début du mois de juin 1940, nous avons chargé à Saint-Nazaire, une pleine cargaison de munitions et de bombes à destination de Newport ; au Sud du Pays de Galles. Le 14 juin, le navire fut désigné ‘Navire du Commodore’ d’un convoi naviguant de Newport vers Saint-Nazaire. Ces navires étaient : SS Albert L. Holt, City of Lancaster, John Holt, David Livingstone, Glenléa et Fabian. Nous avions comme escorteurs les chalutiers HMS Agate et HMS Cambridgeshire.

 Le 15 juin 1940, un message m’informant de faire escale à barry pour embarquer l’Amiral J. Burgess Watson. 

17 juin à 7 heures, le convoi en ligne arriva dans la baie de Quiberon et mouilla, à ma grande surprise il y avait beaucoup de navires au mouillage et d’autres faisant route. Ce matin là, j’appris que nous devions évacuer des troupes, nous reçûmes des ordres pour rallier Saint-Nazaire, le convoi se mit en route à toute allure à proximité du Franconia de la Cunard qui était mouillé, présentant une forte gîte.

A 13h de l’après midi, nous apprîmes que la France était vaincue.

 

Extrait de la lettre du commandant :

Arrivant sur rade de Saint-Nazaire, un sémaphore de terre nous ordonna de mouiller , les autres navires du convoi jetèrent l’ancre près de nous. Alors que nous étions mouillés, le SS Drundrum Castle et le Marslew  sortirent  du port chargés  de troupes. Les navires Baharistan, Floristan, Glenaffaric et Clan Ferguson entrèrent. A deux milles environ de nous, il y avait deux paquebots que nous savons maintenant être l’Oronsay et le Lancastria.

Il faisait beau avec de lourds nuages d’orage au-dessus de nous. A 15h45 de l’après-midi, un nouveau raid aérien survint. J’étais en train de prendre le thé sur le pont. Des bombes tombèrent près du Lancastria mais le manquèrent. A 15h45 de l’après midi, le Lancastria fut touché sur l’avant. Immédiatement il disparut derrière un énorme nuage de fumée noire. A 15h51, il semblait donner de la gîte sur bâbord et sombrer par l’avant. Le mât portant les signaux à tribord était à moitié cassé et son gréement lâcha.

Les navires autour de nous faisaient feu avec leurs canons anti-aériens mais comme leurs obus explosaient trop bas, je leur donnai ordre de ne plus tirer à moins que nous soyons attaqués. A 15h54, un navire de la Blue Funnel, le Teiresias, fut fortement bombardé alors qu’il s’approchait du mouillage*. Le Lancastria donnait maintenant de la gîte sur tribord. A 16h02, l’avant du Lancastria sombra et tout l’arrière s’éleva au-dessus de l’eau tandis qu’il chavirait sur bâbord.

On voyait des hommes sauter à la mer en grappes, se suspendant à  des cordes au-dessus des hélices. Nous l’avons vu sombrer, sa cheminée a disparu, à 16h12 c’était fini. Nos chalutiers d’escorte ont fait mouvement vers lui. Au même moment l’Oronsay fut attaqué mais les bombes le manquèrent. Notre Commodore et l’officier en second (M. Tennant) virent réellement les bombes lâchées du bombardier ennemi. L’Oronsay a eu son pont détruit plus tard.

Le bateau de la Blue Funnel était toujours attaqué. Il donna de la gîte sérieusement sur tribord. Toutes ces bombes devaient être très puissantes car d’immenses colonnes d’eau s’élevaient très haut. A 16h15, nous vîmes trois bombardiers au-dessus de nos têtes et avons entendu dans les nuages le crépitement des machines de guerre. De la fumée s’échappait d’un bombardier. A 16h40 tout redevint calme, l’Oronsay fit route.

Nos deux escorteurs HMS Agate et HMS Cambridgeshire récupérèrent des survivants du Lancastria et beaucoup d’autres petits bâtiments furent sur les lieux. Alors que nous finissions de dîner, le Cambridgeshire vint près de nous, nous demandant quelle était la profondeur d’eau dans le chenal de Saint-Nazaire. Elle était approximativement de 18 pieds. Il calait 23 pieds et était complètement bondé de survivants qui chantaient ‘Roll out the Barrel’. Nous lui avons dit de venir à nous.

Le chalutier était très grand. Il vint à nous et fut amarré aux environs de 18h15. Nous avions trois échelles sur le côté, à l’écoutille n°2, et une plus loin sur l’arrière. J’ai demandé au Commodore de bien vouloir compter les survivants alors qu’ils grimpaient, c’est ce qu’il fit accompagné du maître-timonier.

Quelques temps plus tard, lorsque j’ai remarqué l’échelle située plus à l’arrière, j’ai envoyé notre officier Radio pour les compter. Deux autres échelles furent plus tard mises à l’arrière où personne ne fit de comptage. Beaucoup plus tard, j’ai vu dans le ‘Daily Mirror’ et dans le ‘London Illustrated News’ les photographies des survivants grimpant à bord du John Holt. Elles montraient 6 échelles.

Personnes n’avait ni coiffures ni bérets, beaucoup étaient complètement nus, beaucoup n’avaient qu’une chemise, beaucoup suffoquaient avec le mazout noir, d’autres étaient brûlés ou blessés. Plusieurs fois, j’ai regardé par-dessus bord pensant que c’était bientôt terminé mais les ponts du chalutier restaient pleins, les hommes remontaient toujours d’en bas. J’ai chargé le second capitaine de s’occuper des blessés, mais il fut bientôt débordé jusqu’à ce qu’un sergent et des aides prennent la relève. La foule débordait de partout et il devenait difficile de bouger.

A 19h15, nous les avions tous  à bord, excepté 3 blessés graves que nous pouvions prendre n’ayant pas de médecin. Le Cambridgeshire alors nous quitta calant 16 pieds. J’ai collecté le pointage : le Commodore, 350 – le maître-timonier 225, l’Officier radio 244 soit : 819. Comme il y a deux échelles qui n’ont pas été comptées, cela faisait près de 1100 embarqués. Le sémaphore de terre nous envoya le message suivant : ‘Envoyez les survivants à terre’. Faire cela paraissait totalement inapte avec l’évacuation en pleine action. Qui s’occuperait de ces hommes complètement démunis. Je persuadais le Commodore de nous laisser rentrer chez nous. Il trancha, disant que c’était la meilleure chose à faire, même si nous allions avoir des ennuis.

On envoya un signal au capitaine du SS Robert Holt, notre vice Commodore, donnant l’ordre de faire partir le convoi. A 19h23 nous étions ‘parés’. Il était trop dangereux de se diriger vers la baie de Quiberon où nous pouvions être attaqués. Nous avons alors débarqués notre pilote tentant notre chance d’éviter le champ de mines sans l’aide de notre bateau guide français habituel. Un destroyer nous ordonna d’aller à Falmouth. Nous sommes passés près du Teiresias à la cheminée bleue qui avait été sérieusement  bombardé alors qu’il était à l’ancre. Il était abandonné, gîtant sérieusement sur tribord.

Notre Commodore, nous dit ; alors que nous passions devant : ‘pourquoi n’étais je pas sur ce bateau ?’ parce qu’il y avait eu un changement au dernier moment. A 21h nous étions en sécurité, en dehors des champs de mines, et nous avons filé rapidement. C’est alors que j’ai eu le temps de regarder à nouveau autour de moi. Nous avions pris à bras le corps notre difficile situation. Après des années de formation économique j’ai dû assumer partout autour de moi. Ces hommes n’étaient des hommes de troupes ordinaires avec leur équipement et leurs vivres de réserve. Ces hommes avaient subi une terrible épreuve. Ils n’avaient rien, rien pour se couvrir. Nous avions 1100 naufragés, mouillés, affamés et blessés, sans compter notre équipage qui était de 45 hommes.

Monsieur Lange, notre Chef Steward, très préoccupé, vint me voir sur le pont. Alors,tout ce que nous pouvions faire était de faire de notre mieux. On ne pouvait préparer à ce moment là un repas. (Nous avions beaucoup de rhum pour nos Kro-boys lorsqu’ils travaillaient en heures supplémentaires). Je lui suggérai donc de préparer des seaux de thé, de verser dans chacun un litre de rhum et de servir des biscuits. Il nous fut difficile de trouver des tasses, des assiettes, et des cuillers, pour tant de monde.

Tout l’équipage se montra à la hauteur (beaucoup était avec moi depuis de longues années). Chaque local du navire était rempli ainsi que les faux-ponts. Notre fumoir servit d’hôpital. Dans notre hôpital il y avait deux hommes par lit. Beaucoup s’allongèrent sur le pont. Des vêtements furent distribués, les rideaux, les nappes, les draps, servirent à  se vêtir. On mit en marche le service de ventilation d’air chaud, car bien que nous étions en juin la chaleur était nécessaire pour ces hommes infortunés. Cela pouvait les aider à se reposer et dormir après leur épreuve.

Le jour suivant, mardi 18 juin 1940, notre matériel de cuisine ‘Kroo-boy’ fut très approprié pour faire un bon ragoût qui fut servi dans des assiettes de soupe. Le Commodore dit alors : « aucun navire n’aurait pu mieux faire ».  Nous n’avions pas d’escorte, nous nous sommes éloignés d’Ouessant ordonnant à chacun de se mettre à l’abri au cas où nous serions vu par l’aviation ennemie. L’Amirauté nous envoya le message : ‘allez à Plymouth’. J’ai répondu : ‘d’accord, à 21h ce soir’.

A 20h ce mardi 18 juin 1940, nous étions au large de Plymouth ayant parcouru 300 milles en 23 h, soit à la vitesse moyenne de 13 nœuds. De notre gaillard d’avant à la poupe, nos ponts étaient bondés d’hommes, têtes nues et à peine vêtus. Alors que nous étions dans le chenal de Plymouth, ce magnifique soir de juin (c’était ma première escale dans ce port), nous avons été acclamés devant le fort. Puis nous sommes passés à côté de l’Oronsay et du Strathaird bondés de troupes. Elles nous acclamaient à qui mieux  mieux. Le John Holt gîtait quand les hommes allaient d’un bord à l’autre. Ce fut un grand moment vécu que l’on ne peut oublier.

Nous avons mouillé pendant une heure puis nous avons fait mouvement vers le Smith Bay Pier. Il faisait sombre quand nous nous sommes amarrés. Des gens nous lançaient des paquets de biscuits, des boîtes de corned beef, des boites de lait. Des filles arrivèrent avec des plateaux de cigarettes. Ensuite, les médecins montèrent à bord, à la fois médecins de la marine et des médecins militaires accompagnés d’ambulanciers. I y avait environ 170 blessés, dont 30 à peu près sur civières. Un médecin nous dit qu’il ne nous attendait pas si tôt, que les navires avaient habituellement du retard ; 21h était notre heure d’arrivée prévue, nous avons gardé notre réputation, étant ancré à 20h54.

Le mercredi 19 juin à 1h30 du matin, tous les survivants étaient débarqués sains et saufs, alors je pus me déshabiller pour la première fois depuis 5 jours. Nous avons quitté le Pier Smith Bay et sommes allés mouiller dans le détroit en attendant les ordres. L’équipage alors commença à nettoyer le navire. Les souillures noires faites par le mazout sur les lambris de chêne clair du fumoir furent laissées en souvenir de cette traversée épique. Plus tard j’ai recherchée la liste des Officiers et des hommes qui avaient été embarqués sur le John Holt. Il me fut répondu : les circonstances exceptionnelles dans lesquelles ces officiers et ces hommes en détresse ont embarqué font qu’il est presque impossible d’obtenir leurs noms et leurs grades.

Le 25 juillet 1940, le naufrage du Lancastria fut annoncé sur les ondes. Sur les 5300 hommes, 2477 furent sauvés. Il est peut être intéressant de savoir que le SS John Holt est parti de Plymouth le 2 juillet 1940, cette fois avec 1000 officiers français et hommes de troupe. Après avoir navigué 4500 milles sans escorte, nous les avons tous débarqués en Côte de l’Or (Ghana), le 22 juillet 1940, juste avant de quitter Plymouth, j’ai reçu une lettre de l’amiral J. Burgess Watson renfermant une lettre du lieutenant Colonel de l’Armée de l’Air C.B. Garde, accompagné d’un chèque. Ce chèque était un témoignage de reconnaissance des survivants. Il fut très apprécié. Je l’ai envoyé à l’orphelinat Royal des gens de mer de Liverpool 

Le SS John Holt fut torpillé et sombra en septembre 1941, alors qu’il naviguait en convoi comme navire Commodore. C’est un beau navire qui a disparu, mais d’autres ont porté son nom par la suite.

 

 

 

* Le Tereisias fut bombardé le matin lors de son arrivé à Saint-Nazaire, il ne coula que l’après-midi.