Témoignage de Mr Gouriaud

 En 1940 j’étais un jeune homme de 18 ans, j’exerçais mon métier de marin pêcheur à Pornic, j’étais propriétaire de mon bateau de pêche à la voile. Mon métier de marin m’a permis de rester en France sinon je serais parti en Allemagne pour un travail forcé.

 Le 17 juin 1940, je n’ai absolument rien entendu ainsi que de nombreux habitants de Pornic, aucune explosion n’était entendue dans l’après midi du 17 juin, aucune explosion provenant d’un accident en mer, rien de rien, absolument rien sauf de nombreux bombardements sur la région de Saint-Nazaire. Ce n’est que 2 ou 3 jours après le 17 juin 1940 que nous apprenions le naufrage d’un navire au large de la baie de Bourgneuf, nous savions qu’il fut bombardé et coulé mais rien d’autre nous ne connaissions même pas son nom « NOUS NE SAVIONS RIEN », nous étions loin de nous douter de l’ampleur de cette tragédie, et surtout nous savions que la guerre débutait avec tous les malheurs qui suivirent les 5 longues années.

 C’est lors de nos sorties en mer pour pêcher que nous commencions à nous rendre compte de cette tragédie, de cette catastrophe, pratiquement tous les jours nous récupérions des corps gonflés par l’eau et couvert de mazout, pour les ramener au  port nous les traînions derrière le navire. Une fois arrivé à destination nous les déposions sur la cale le long du quai à Pornic, ce fut des moments très pénibles à vivre. Tous les bateaux de pêche ramenaient des corps et ceci presque tous les jours.

 Une fois déposés ces corps étaient identifiés par leurs médailles, ensuite nous attendions qu’un allemand vienne en rendre compte, il saluait le corps et ensuite nous le transportions à l’hôpital de Pornic. Le nombre de corps ramenés à Pornic est d’environ 300, moi personnellement j’en ai récupéré 7 ou 8 et uniquement des soldats. Jamais je n’ai oublié ces moments difficiles où l’on voyait ces corps flottant sur la mer, cela restera à graver à jamais dans ma mémoire. Je me souviens également d’apercevoir une partie  Lancastria lors des grandes marées.

 Quand la guerre fut terminée nous ne parlions jamais de cette tragédie, c’est uniquement quelques années plus tard que nous apprenions l’ampleur de cette catastrophe et surtout le nombre impressionnant de disparus, nous ressentions que cette histoire devait rester enfermée dans nos mémoires comme un secret, en Angleterre beaucoup de personnes ignoraient la tragédie du Lancastria.

 Dans les années qui suivirent Mr Gouriaud se maria avec la première femme patron d’un canot de la SNSM , lui-même fut patron du canot de sauvetage de Pornic pendant 30 ans. Tous les deux adhérèrent à l’association du Lancastria, Mr Gouriaud en devint vice-président, une place qu’il occupe toujours actuellement.

 Tous les ans, au mois de juin le week end suivant le naufrage,  Mr et Mme Gouriaud allaient à Londres  pour participer à la messe donnée en souvenir des naufragés du Lancastria. Souvent M. Gouriaud posait des questions sur ce naufrage à des civils anglais et personne ne connaissait l’histoire de cette tragédie, JAMAIS il n’a rencontré quelqu’un qui pouvait lui parler du naufrage du Lancastria. Sitôt la guerre, l’épouse de M. Gouriaud s’occupa des tombes des naufragés du Lancastria pendant de longues années.

 

M Gouriaud Claude