Témoignage de madame Loréal 

 

La première fois que j’ai vu des anglais c’était au mois de septembre 1939, ils s’installaient à la fraternelle (maison), beaucoup d’anglais se cantonnaient au quartier du Petit-Maroc (vieux Saint-Nazaire), ils étaient très gentils, souvent ils nous donnaient leur fameux cornet de beef à déguster.

 J’habitais rue de la vieille église au Petit Maroc, en face de chez moi se trouvait une pompe à eau, beaucoup de soldats anglais y venaient pour faire leur toilette.

Le 17 juin 1940 les soldats anglais arrivaient de toute part, ils passaient devant ma maison et se dirigeaient vers le quai des marées, ils étaient chargés de cantines remplies mais ils devaient  les  abandonner sur les quais, car uniquement les personnes étaient autorisées à embarquer avec un minimum de bagages, si bien qu’ils donnaient tout ce qu’ils possédaient aux gens qui se trouvaient sur les quais.

 Au quai des marées se trouvaient toutes sortes de navires, les gens partaient confiant, content de partir mais sans gaîté de cœur, les navires étaient chargés à ras bord, l’embarquement  des troupes a duré toute la journée sur les navires français et anglais, mon père était sur un remorqueur, accompagné par de nombreux petits bateaux de pêche qui aidaient les Anglais à partir. Ce 17 juin 1940 le temps était splendide, d’un seul coup j’ai vu des avions piquer sur un bateau au large de Saint-Nazaire, il y a eu un bruit énorme, le bac de Mindin (ville face à Saint-Nazaire) à tout lâcher pour rejoindre le Lancastria  venant de se faire bombarder, tout le monde se disait ‘ils sont tous morts’

 Tous les bateaux faisaient des aller retour pour porter assistance, les premiers blessés qui arrivaient se trouvaient dans un triste état, ils étaient amenés aussitôt à l’hôpital en camion, je ne sais pas ce qu’ils sont devenus sitôt le naufrage car s’était sauve qui peut, tout le monde partait même nous, c’était la vraie débâcle, notre famille avait évacué sur Noirmoutier avec le remorqueur de mon père qui a également participé au repêchage des naufragés et des corps sans vie du Lancastria, jamais il nous en parlait.

 Revenus à Saint-Nazaire quelques jours plus tard, on entendait parler du lancastria, c’était une catastrophe de guerre, y avait des corps qui arrivaient sur les plages ainsi que du mazout, mais il était formellement interdit d’aller sur les plages par peur que l’on s’enfuie, les Allemands avaient installé des chevaux de frise.

 Fallait vraiment être bien accroché pour vivre tous ces malheurs qui se déroulaient, par exemple devant chez moi, il y avait eu beaucoup de morts suite à l’opération Chariot, des camions les ramassaient comme des ‘m….’ (Excusez-moi  ce mot mais c’est le désir de Mme Loréal car c’est vraiment ce qu’elle ressentait en apercevant cette scène), les allemands tiraient partout je me souviens d’un allemand bavant de haine qui hurlait : « ça serait moi je tuerais tout ça » !!!

 J’ai évacué la ville de Saint-Nazaire juste avant la poche en 1944, le 28 février j’étais présente au bombardement c’était horrible. Je suis revenue à Saint-Nazaire en 1945, la priorité était de reconstruire la ville, le Lancastria était oublié tout comme l’opération Chariot. Y a eu plein d’horreur, on vit ça et petit à petit ça s’estompe, ça devient flou. Le lancastria a été oublié après la guerre suite à tous les malheurs, tout le monde avait sa misère plus ou moins grande, Saint-Nazaire et ses habitants ont beaucoup souffert de cette guerre.       

 

Madame Loréal