Je me nomme Robert Sauton

 

Je suis né le 13 juin 1930 et venais d’avoir 10 ans quand j’ai assisté au naufrage du Lancastria. Orphelin, j’ai été recueilli par une famille de Pornichet et vivais, à cette époque, à la villa « Yvonnette » situé avenue Bonne Source, en bordure de plage.

 

Nous avions construit dans le jardin un abri de fortune avec des planches et des fagots ; lorsque nous entendions l’aviation allemande, nous sortions sur le balcon pour nous informer et éventuellement, courir nous mettre à l’abri.

 

En ce début du mois de juin 1940, une vingtaine de bateaux : paquebots et « liberty ships » étaient ancrés depuis plusieurs jours, entre le phare du Charpentier et l’Ile du Pilier, dans l’attente de l’embarquement des soldats anglais. Le 17 juin 1940, en début d’après-midi, entendant les avions ennemis, nous sommes sortis sur le balcon et avons aperçu deux navires, l’un très au large, à hauteur du phare de la banche, bombardé de toute part, il disparaissait derrière les gerbes d’écume causées par les bombes et c’est un vrai miracle qu’il n’est pas été coulé ! le second , le Lancastria, se trouvait entre le phare du Charpentier et celui du Pilier. Il a coulé en une vingtaine de minutes ; cette image reste gravée dans ma mémoire, celle de la poupe du bateau et de son hélice émergeant de l’eau.

 

Une dizaine de jours plus tard, ma nourrice, mademoiselle Malnoë, aperçut des points noirs sur l’eau. Elle prit sa longue vue et se rendit compte qu’il s’agissait de cadavres. Pendant longtemps, les corps mazoutés arrivèrent sur le rivage. Ils étaient identifiés grâce à leur plaque militaire. Je ne me souviens pas avoir vu de civil. Tous les matins le père Binet arpentait la plage avec son tombereau de bonne source à Saint-Marguerite et chargeait les corps. Lorsque, plus tard, les allemands arrivèrent, ils se promenaient sur la plage, certains retournaient les corps avec leurs pieds chaussés de bottes et riaient

 

J’ai assisté au. Débarquement des anglais à Saint-Nazaire. Lorsque nous les croisions sur la route, nous leurs demandions des pennies ou différents insignes qu’ils avaient à la boutonnière ou sur leur calot. J’avais sympathisé avec l’un d’eux, originaire de Sheffield, qui résidait à la villa Banghor où deux tentes avaient été monté. Leur camp de base se trouvait à Saint-Marguerite sur un terrain qui, quelques années plus tard, allait devenir un camping.

 

Je pense qu’ils y restèrent une bonne année. Je me souviens de l’odeur du thé lorsque nous passions près de leur campement. A l’arrivée des allemands, ils partirent précipitamment, ne prenant que leur armement et abandonnant tout sur place (tentes, matériel …..), ce qui fit le bonheur de nombreuses personnes et en particulier, celui des gamins . Nous disions qu’ils avaient fait sauter une banque tellement il y avait partout des pièces de monnaie. Pour ma part, je m’en suis rempli les poches !

 

Je n’étais qu’un enfant mais pourtant je garde en mémoire l’image de la poupe et de l’hélicedu Lancastria en train de sombrer