Témoignage de Mr Alain David

 

j’avais 14 ans en 1940. Venant de Lorraine où mon père avait une activité professionnelle dans la sidérurgie, ma famille avait été contrainte de fuir devant l’avancée des troupes allemandes. Ayant fait toute la guerre de 14-18, mon père, comme beaucoup d’autres en Alsace Lorraine sentait l’arrivée proche d’une seconde guerre mondiale et ma famille s’était installée au Pouliguen.

 

je n’ai pas souvenance en 1940 d’avoir entendu parler tout de suite du drame qui s’était produit à l’entrée de Saint-Nazaire. Comme tous les gamins de l’époque, les allées et venues en bicyclettes étaient mon quotidien avec les copains en dehors des heures de classe (collège "La Coupole" sur le remblai de La Baule"). Notre habitation située à quelques pas de la plage du Pouliguen me permettait de voir néanmoins l’activité qui régnait à la sortie de l’estuaire de la Loire, derrière l’Ile des Evens, le phare des Charpentiers et au large de la pointe de Pen-château.

 

Un beau jour, il m’est impossible de préciser la date exacte, j’avais remarqué une activité particulière des quelques marins pêcheurs et de leurs bateaux sur le port du Pouliguen. Puis ce fût l’évènement inattendu pour moi : un attroupement mais pas la foule, sur le quai du port du Pouliguen, en face de la pharmacie Clénet de l’époque, quelques curieux s’étaient regroupés et c’est là que j’ai découvert l’horreur.

 

Des marins mutilés, certains brûlés, gonflés pour la plupart et n’ayant plus figure humaine. ils ont été débarqués et allongés sur le quai les uns à côté des autres. Des bassines d’eau colorée en rose (sans doute par du permanganate de potassium) permettaient à ceux qui effectuaient cette triste besogne de se désinfecter les mains.

 

Je me souviens également, mais sans certitude, que le "passe partout", bateau à fond plat qui effectuait le passage entre le Pouliguen et la Baule dans le port et appartenant à Alexis Le Callo, avait été pris en remorque par un bateau de pêche jusque sur les lieux du naufrage du Lancastria, chargé de cadavres et ramené au Pouliguen. Je revois aussi dans ma mémoire, un petit détachement de soldats sous les ordres d’un officier ou d’un sous-officier rendre les honneurs à ces malheureux allongés sur le quai.

 

 

Cet épisode que j’ai vécu, modeste témoignage d’un gamin de 14 ans que j’étais alors, m’a marqué pour la vie. A 85 ans aujourd’hui, je ne peux m’empêcher de revoir ces images d’alors chaque fois que je passe, presque quotidiennement, sur le quai, le long de la cale où ont été débarqués ces pauvres malheureux qui n’ont jamais pu rejoindre l’Angleterre, leur patrie, ou leur lieu de repli.